jeudi 24 novembre 2005

Vivre son rêve



« Faites que le rêve dévore votre vie,
afin que la vie
ne dévore pas votre rêve. »
(Saint-Exupéry)

mercredi 23 novembre 2005

Jeux d'eau

Je suis né sous un signe de terre et l'eau n'a pratiquement toujours été pour moi autre chose qu'un élément essentiel à l'hydratation de l'organisme, à la toilette, à la cuisine, etc. J'ai cependant toujours été sensible à la beauté des paysages qui comprenaient un plan d'eau, que ce soit un lac, une rivière ou... la mer. De plus, je considère le murmure d'un ruisseau, le grondement d'une rivière, le clapotis des vagues, comme des sons les plus agréables et les plus relaxants au monde. J'ai grandi à la campagne, entre la forêt, les montagnes et les rivières et, du temps de mon enfance, les rivières ressemblaient à des fleuves tant leurs lits étaient larges et leur eaux profondes.

À l'adolescence, il m'est arrivé quelques fois d'aller pêcher la truite (nos rivières contenaient beaucoup de saumon, mail il était interdit de le pêcher : les Américains avaient acheté pour quatre-vingt-dix-neuf ans les droits de pêche du saumon) ; je raconterai d'ailleurs, un jour, une histoire de pêche qui fut l'un de mes plus beaux souvenirs d'adolescence. Si les rivières des environs étaient intéressantes pour les pêcheurs occasionnels, elles l'étaient moins pour les baigneurs annuels que nous devenions à la fin des classes, au début de l'été.

Pour marquer la fin de l'année scolaire et le débuts des vacances estivales, nos instituteurs aimaient organiser le 23 juin un pique-nique pour les élèves. Chacun apportait son goûter et, pour l'occasion, achetait, empruntait ou se faisait confectionner un maillot de bain. En ce qui me concerne, la baignade ne m'attirait pas vraiment, mais il fallait faire comme tout le monde et être prêt à se mouiller. Je me souviens d'un maillot que ma mère m'avait confectionné dans un tissu rayé de bleu, de blanc et de noir, accompagné d'une sortie de bain coordonnée. Nous avancions dans l'eau, le temps de se mouiller ou davantage pour les fanfarons, mais nous en ressortions assez vite car l'eau de ces rivières était très froide. Durant toute mon enfance et mon adolescence, je suis probablement allé à la mer trois ou quatre fois ; je ne me souviens vraiment, et encore c'est très vague, que d'une seule fois. L'eau n'est donc pas un élément qui m'attire spontanément et si je n'ai pas à le faire dans le cadre d'un horaire à respecter, je reporte sans cesse à plus tard le moment de prendre la douche... Une fois mouillé, cependant, j'adore.


Il y a quelques années, à la suite d'une chute sur le dos, j'ai dû faire de la physiothérapie durant quelques mois. J'aimais les exercices que me faisait faire le jeune physiothérapeute de la clinique de médecine sportive que je fréquentais et j'appréciais toute l'attention qu'il m'accordait et tous les soins qu'il me prodiguait... Si j'avais beaucoup d'argent, j'aurais mon entraîneur personnel pour entetenir la souplesse et garder la forme... Après quelques mois de physiothérapie, mon thérapeute m'a suggéré de continuer seul mes exercices et, surtout, de faire de la natation. Je ne sais pas nager, mais je sais que la natation et les exercices aquatiques sont excellents pour entretenir la forme ou même pour corriger certains problèmes d'articulations, musculaires, etc... J'ai des amis qui habitent un grand immeuble dans lequel il y a une grande piscine qui est pratiquement toujours inutilisée. Cet été-là, Marc m'a proposé d'aller tous les jours le rejoindre un peu avant l'heure du déjeuner ; puisqu'il était en vacances, il m'accompagnerait à la piscine durant une heure ; la natation serait excellente pour lui aussi, qui est musicien, et il pourrait ainsi en faire chaque jour pendant que je ferais dans l'eau toutes sortes d'exercices pour redonner plus de tonus à mes muscles ; après quoi nous irions déjeuner et vaquer ensuite à nos obligations respectives. Cette heure quotidienne d'exercices aquatiques, suivie d'une demi-heure de sauna sec, a presque fait de moi un athlète... Bon, d'accord ; j'exagère un peu. Mais il est vrai que depuis, je n'ai qu'un rêve, qu'une obsession : c'est d'avoir ma piscine personnelle dans laquelle je pourrais m'exercer tous les jours, à l'heure qui me convient ou, tout au moins, d'habiter dans un immeuble où j'aurais accès à une piscine sans qu'il y ait autour des témoins gênants. Je n'ai pas peur de l'eau, mais du ridicule.

Je n'ai pas l'habitude de commenter les faits divers et je n'ai pas non plus l'intention de commencer à le faire dans ce blogue. Une nouvelle m'a toutefois frappé aujourd'hui : une femme et sa jeune fille se sont noyées dans la piscine de l'immeuble où elles habitaient, à Montréal. Il s'agit très certainement d'un accident ; on fera une enquête et même une autopsie pour déterminer la cause exacte des décès. Ce genre d'accident arrive sans doute assez souvent ; trop souvent. Je ne connaissais pas du tout les victimes, mais cet accident me touche parce qu'il y a quelques années, alors que j'habitais un immeuble avec une piscine, un drame semblable est survenu auquel j'ai été involontairement mêlé. En rentrant chez moi un soir d'été, peu avant dix-sept heures, j'ai entendu des cris provenant de la piscine dont la porte était voisine des portes des ascenseurs ; je n'ai d'abord pas porté attention à ces cris, qui m'ont semblé être des cris de joie d'enfants qui s'amusaient dans l'eau. Puis j'ai entendu un nouveau cri ; là j'ai compris que ce n'était pas un cri de joie : je me suis rué vers la porte de la piscine ; au même moment, une jeune femme poussait cette porte en criant... Je suis entré et j'ai vu : les corps de deux fillettes étaient là devant moi, dans la piscine, inamimés. L'un d'eux flottait, le visage tourné vers le fond ; l'autre gisait au fond de la piscine. Sans hésiter une seconde j'ai sauté à l'eau et j'ai vite sorti la première des fillettes, que j'ai allongée sur le sol près du bord de la piscine ; la femme, qui avait appelé se pencha vite pour essayer de pratiquer sur elle les exercices de réanimation. Pendant ce temps, j'ai sauté une deuxième fois pour tenter de ramener à la surface l'autre jeune fiille ; j'ai eu du mal car je ne sais pas nager et même si l'eau n'était pas très profonde, j'avais tendance à remonter quand j'essayais d'atteindre le fond... J'y suis finalement arrivé ; j'ai déposé le jeune corps près de l'autre et j'ai voulu tenter aussi des exercices de réanimation. La jeune femme m'a supplié d'aller chercher de l'aide. Comme il n'y avait personne au rez-de-chaussée, que le bureau de l'administration était fermé, j'ai pris l'ascenseur pour aller frapper à la porte de l'administrateur, qui habitait l'appartement voisin du mien. Dès qu'elle a ouvert la porte, elle m'a aperçu tout mouillé ; je lui ai dit ce qui se passait, elle m'a répondu : « Je m'en occupe ! ». Elle a saisi le téléphone, appelé les ambulanciers, la police et... le concierge.

Quand je suis redescendu, tout ce monde là arrivait et prenait en charge la situation. Je suis remonté chez moi, je me suis changé rapidement et je suis redescendu ; j'ai rencontré les policiers qui voulaient me voir ; je leur ai raconté ce qui s'était passé puis j'ai demandé si je pouvais partir, si on n'avait plus besoin de moi ; on m'a dit que je pouvais partir, qu'on m'appellerait peut-être pour avoir plus de renseignements si nécessaire... Je me suis frayé un chemin dans la foule dense de curieux que les gyrophares des ambulances et des policiers avaient attirés sur place et je me suis retrouvé sur le trottoir ne sachant quoi faire, tellement j'étais sous le choc. J'ai décidé de me diriger vers le parc du mont Royal, qui est un peu mon jardin et mon refuge quand le stress devient trop grand, que le rythme effréné du coeur de la ville bat trop vite pour moi. J'ai longuement marché dans les sentiers en essayant de me convaincre que tout cela n'était pas arrivé, que ces deux fillettes de dix ans avaient voulu nous jouer un mauvais tour et qu'elles étaient maintenant en train d'en rire discrètement pour ne pas exciter la colère des parents qui n'apprécient pas ce genre d'humour...

Quelques heures plus tard, j'ai appelé ma plus jeune soeur, qui habitait à quelques dizaines de mètres de chez moi, pour savoir si elle avait de l'alcool à la maison. Elle n'en avait pas ; nous avons décidé d'aller manger au restaurant ; le vin rouge me permettrait de relaxer... Je n'ai pas dormi beaucoup cette nuit-là, même avec le calmant que ma soeur m'avait donné. Quand j'ai appelé mon supérieur le lendemain matin pour dire que je serais un peu en retard, on m'a fait une blague de mauvais goût au sujet de noyades qui s'étaient produites la veille près de chez moi ; c'était en première page de tous les journaux : « Deux fillettes de dix ans se noient dans une piscine en l'absence de leurs parents »... J'ai sèchement répliqué que ce n'était pas arrivé « près de chez moi », mais bien chez moi, et que c'était moi qui avais sorti de l'eau le corps des deux fillettes ; on s'est gauchement excusé... Dans les jours qui ont suivi, j'ai vécu comme dans un rêve, dans un univers irréel... Les nuits suivantes, durant des semaines et des mois qui ont suivi cet événement, j'ai fait des cauchemars ; et même souvent durant la journée, je revoyais ces deux fillettes inanimées et je n'arrivais pas à m'entrer dans la tête que ces deux petites chinoises, mignonnes comme tout, ne souriraient plus à personne ni à la vie...

Si toutes les séparations, toutes les ruptures, tous les adieux de nos vies contribuent à nous assagir et à nous faire vieillir un peu, il me semble avoir d'un coup vieilli de plusieurs années ce soir-là et dans les jours qui ont suivi. Puis, peu à peu, on intègre cette nouvelle réalité ; elle fait partie de soi et contribue à notre évolution. Une expérience de vie s'évalue non pas en fonction de ce qui nous arrive, mais en fonction de notre capacité à absorber, à intégrer ce qui nous arrive. Comme le disait si bien Jean-Louis Trintignant qui, après la mort tragique de sa fille adorée, a eu beaucoup de mal à reprendre goût à la vie mais qui, à partir du moment qu'il a décidé de vivre, a choisi de le faire correctement et de ne pas présenter aux autres un visage toujours sombre : « la vie est belle ! », dit-il, et il y a toujours malgré tout « entre deux drames, beaucoup de bonheur. »

vendredi 18 novembre 2005

... avec un coeur d'enfant

En prenant mon petit déjeuner, ce matin, je pensais à ma chronique du jour, à ce que je devrais écrire pour définir un peu plus mon identité... Puis, comme j’essaie de le faire chaque matin, même si je suis parfois pressé, bousculé, j’ai pris un livre pour accompagner la fin de ce petit déjeuner et le litre de thé noir, alliant ainsi aux nourritures terrestres la nourriture de l’esprit. Parmi mes lectures en cours, il y a un roman de Michel de Castillo, dont je reparlerai un jour ; pas forcément de ce roman, mais de son auteur et des circonstances qui m’ont amené à lire ses livres. Ce roman que je suis en train de lire, Tanguy, est le premier qu’il ait publié, je crois, en 1957 ; il ne s’agit donc pas, on le voit, d’un jeune romancier à la mode que vient de jeter sur la plage du temps la dernière marée de l’automne.
Le sujet de ce roman, le voici (et je dois dire que si je n’avais pas lu auparavant d’autres livres de cet auteur, ce sujet n’aurait probablement pas retenu mon attention ; si je lis celui-ci, c’est pour retrouver un auteur que j’ai découvert, aimé, et dont je ne peux plus me passer). Sur la quatrième de couverture de cette édition (Presses Pocket), on peut lire : « Voici une histoire vécue de la férocité des hommes, une histoire vécue par un enfant : Tanguy. Petit garçon perdu dans une Europe déchirée par la guerre, Tanguy connaîtra l’exil, la faim, l’horreur des camps de concentration. Il découvrira aussi la solidarité et de déchirantes amitiés. Et c’est parce qu’il traversera toutes ces horreurs de la guerre et du monde des adultes avec un coeur d’enfant sans haine et sans amertume qu’il surmontera son désespoir et sera sauvé. »
« Le hasard n’existe pas », dit-on ; l’un de mes amis lointains (dans l’espace), aimait à me le répéter, à me l’écrire... J’achète parfois des livres sans trop savoir ce qu’il contiennent, simplement parce qu’un jour j’ai lu un article sur leur auteur ou que j’ai entendu un commentaire à leur sujet. Il m’arrive donc d’avoir dans ma bibliothèque des livres qui attendent durant des semaines, des mois et même des années, que je daigne les ouvrir, en parcourir quelques lignes, quelques paragraphes. Souvent, quand je viens de terminer la lecture d’un roman ou d’un essai et que je ne sais plus que choisir, je saisis un livre sur mes rayons, sans y avoir pensé auparavant, et j’en commence la lecture. Nos choix de lecture ne sont toutefois pas si innocents qu’on le pense ; si l’on est conduit vers tel ou tel livre, c’est sûrement parce qu’à ce moment-là, on est prêt, on est mûr pour le message qu’on y trouvera. Il arrive avec les livres ce qui arrive avec les êtres ; on se demande parfois ce que telle ou telle personne peut bien avoir en commun avec nous, ce qu’elle peut bien faire sur notre chemin, dans notre vie. On l’oublie, ou du moins on essaie de l’ignorer ; puis un jour, au détour d’une confidence, d’une révélation, tout s’éclaire : on comprend alors pourquoi cette personne est là.
Traverser ce « monde des adultes avec un coeur d’enfant »... Hier soir, je participais avec des collègues d’une association dont je suis administrateur à un dîner de travail dans un restaurant branché de la rue Saint-Denis, à Montréal. Vers la fin du repas modérément accompagné d’un bon vin sans prétention, après avoir parlé de choses sérieuses, discuté de stratégie d'affaires, nous avons quelque peu parlé de lectures, de littérature, de ce qui fait un écrivain, de ce qui fait que certains, parmi nous, par exemple, sentent le besoin d’écrire et d’autres pas... Je leur ai parlé de cet auteur, de ce roman que je suis en train de lire et, sur le ton de la confidence souriante, j’ai ajouté que je me reconnaissais souvent dans l’histoire de cet enfant perdu, qui connaît l’exil, « la solidarité et de déchirantes amitiés ». Alors un collègue m’a dit en riant : « Non, non, J-M, tu n’es plus un enfant ; tu ne le sais peut-être pas et j’ai le regret de te le dire, mais tu n’es plus un enfant... » C’était dit avec tant d’affection et de tendresse que l’enfant en moi était prêt à entendre ce terrible constat et à accepter de réfléchir à ses conséquences...
En poursuivant ma lecture de ce roman, je suis donc tombé ce matin sur un passage qui me semblait en lien direct avec le sujet de ces deux fables de La Fontaine que je citais hier, sur la véritable amitié, sur ce que l’on serait prêt à faire pour un ami, sur la distinction à faire entre la parole et l’action, entre le discours et la réalité ; il m'a paru essentiel d'établir immédiatement ce lien entre une lecture d'hier et celle d'aujourd'hui. Il s’agit ici d’une conversation entre le jeune Tanguy et le directeur d’un collège qu’il a fondé, un jésuite touché par la misère qui s’est donné comme mission d’ouvrir des écoles où l’on pourra accueillir des enfants et leur donner « la nourriture et le savoir », qui s’est battu contre des bureaucrates en réclamant pour des enfants « le droit de devenir des hommes ». Voici cet extrait :
« ... C’est le Père qui dit un jour à Tanguy :
— La charité n’est pas vertu : elle est acte.

Il était d'ailleurs lui-même tout action. Chez lui action et pensée étaient indissolublement liées par ce lien invisible de la charité. Il n’aimait pas les consciences scrupuleuses, les âmes « tourmentées ». Un jour, Tanguy lui ayant avoué qu’il se demandait souvent s’il croyait ou non en Dieu, le Père lui jeta un regard sévère :
— Laisse en paix ces histoires !... Mange, dors, étudie, ne mens pas, sois bon avec tes camarades, travaille, agis loyalement. Quant tu auras fait toutes ces choses, et qu’en plus tu te sentiras capable d’aimer ton prochain jusque dans tes actes, alors demande-toi si tu crois en Dieu ; pas avant. La plupart de nos « croyants » cessent de se comporter en croyants dès qu’il s’agit de donner mille pesetas. Foi bien fragile que celle qui dépend du portefeuille ! Ce n’est pas le superflu qu’il faut savoir donner, mais bien le nécessaire. »

Michel del Castillo, Tanguy, coll. « Presses Pocket », page 209.

mercredi 16 novembre 2005

J'aime la France...

Quiconque me connaît un peu, que ce soit personnellement, dans la vie réelle, ou en partie par l'intermédiaire d'Internet, connaît mon amour de la France. Que ce soit en France, au Québec ou ailleurs, quand on me demande d'où je viens, je réponds toujours en souriant : « je suis d'origine française, mais au Québec depuis au moins 1656 ». Québécois et fier de l'être, je ne renonce donc pas à l'histoire et à la culture qui ont façonné la vie et la culture de mes ancêtres et de ma famille. En somme, je revendique ma part d'héritage et, en digne héritier, je considère que je fais encore partie de la famille et à ce titre, je me permets parfois de critiquer ce que mes cousins font de leur part de l'héritage commun.
Entre les cousins hexagonaux et les Québécois, il y a parfois bien des affinités et bien des intérêts communs, mais il y a aussi des différences qui ne font parfois qu'alimenter la curiosité et l'intérêt des uns envers les autres et susciter souvent des taquineries sans méchanceté. De plus en plus, cependant, je me rends compte que ce qui reste le plus fort en moi, c'est l'attachement à la langue française, dont j'essaie de me faire, avec mes modestes moyens, l'un de ses irréductibles défenseurs.
La langue, c'est l'outil de communication par excellence et en cela, il importe que nous en partagions les codes et les conventions. Mais la langue, c'est aussi la littérature. Selon moi, la littérature est à la langue ce que la gastronomie est à l'alimentation. Si j'ai une alimentation relativement économique et frugale pour les besoins du corps, je m'autorise le plus souvent possible des repas gastronomiques quant il s'agit des nourritures de l'esprit. Je lis donc pour exercer mon intelligence, pour développer mes facultés intellectuelles, pour mieux comprendre le monde dans lequel je vis. Je lis aussi pour éprouver et reconnaître des émotions et très souvent pour le plaisir du texte, la jouissance de la langue...
Il y a un peu plus de deux ans, je crois, en lisant un essai de Michel del Castillo, Droit d'auteur, je suis tombé sur cette page qui m'a fortement ému. J'ai voulu retranscrire cet extrait et l'afficher bien à la vue dans mon espace de travail ; chaque fois que je le relis, c'est avec la même émotion et les larmes aux yeux :

« J’aime ce pays, la France, de l’amour des humbles, de ceux qui ont dû jouer des coudes pour approcher de la table. Mon couvert n’y était pas mis, je ne figurais pas sur la liste des invités. Je continue de regarder la vaisselle magnifique, la nappe somptueuse, tout ce faste d’une langue imposante, avec les yeux de l’orphelin. Peut-être sommes-nous, étrangers et métèques, les derniers à vouer au français le grand amour de nos illusions, une passion d’affamés de justice et de liberté. Nous avons cru aux mots que cette langue a su inventer, nous nous sommes chauffés à cette flamme, nous nous sommes consolés et bercés dans sa musique. La réalité ne correspond pas à cette illusion ? Nous continuons de croire, contre la réalité, à cette chimère langagière. » (Michel del Castillo)